Je suis en discussion avec un ami. En réalité, cela fait plus de vingt ans que je ne l'ai pas vu. À peine un échange par mail durant toutes ces années. Pourtant, je lui garde intacte mon affection. J'aime à croire qu'il en est de même pour lui.
Il représente pour moi une figure de l'autorité, au moins en ce qui concerne la littérature. Malheureusement, j'avais trop souvent avec lui le sentiment de parler comme un benet. La critique, franche et exigeante, qu'il faisait de mes premiers textes n'arrangeait rien à l'affaire.
Bref, me voilà en train de lui demander ce qui ne va pas avec mes textes.
— Ils sont trop... prévisibles. Oui, c'est cela, trop prévisibles.
— Je ne comprends pas.
Son regard se trouble, dérive sur le côté, se fixe dans le vide.
— C'est peut-être une question d'âge. Tes textes... Comment dire... C'est comme quand tu quittes le boulot et qu'un collègue t'intercepte pour t'inviter, toi seul, à prendre une bière. D'abord, tu refuses, mais il insiste. Il te dit qu'il y a un nouveau bar qu'il veut te montrer. Tu n'en crois rien, mais tu finis par accepter. Alors, tu te retrouves bientôt devant une bière, avec lui. Il bavarde, essaie de rire. Toi, tu aimerais rentrer chez toi, retrouver ta femme et tes gosses. Alors, tu ne ris pas. Tu ne te forces même pas à rire. Un isntant de silence, et il lâche le morceau : sa femme le quitte, et il ne sait plus quoi faire. Trop prévisible.